Jérémy Roussel

Jérémy Roussel

Entraineur de l’équipe Massy-Essonne Handball

Comment gérer un « électron libre » dans un groupe ? 

Il faut d’abord s’entendre sur le terme « d’électron libre ».

Je donnerais la définition suivante : un joueur talentueux, un joueur dont les performances peuvent être utiles à l’équipe mais qui s’intègre difficilement dans cadre (système de jeu et/ou règles de vie collective).

En effet, s’il n’est pas compétent et que son attitude nuit à la cohésion de l’équipe, le « problème » n’en est pas un et doit être vite régler.

Le challenge réside dans le fait de réussir à gérer de manière pertinente un joueur aux qualités au dessus de la moyenne qui qui a des difficultés à respecter des règles collectives.

C’est ici que réside à mon avis toute la légitimité du coach, dans l’arbitrage de ces forces contradictoires, entre maintenir un cadre collectif tout en permettant aux singularités et aspirations individuelles de s’exprimer.

Je livre ici quelques principes sur lesquels je m’appuie pour assurer autant que possible cet équilibre.

1 / Profiter de la phase de prépa pour co-construire des règles communes :

Il est évident que dans un groupe quel qu’il soit, si chancun fait ce qu’il veut quand il veut, ça devient invivable et il y a de grandes chances que ça dysfonctionne rapidement.

D’où l’obligation de fixer des règles. Ces règles là seront d’autant mieux acceptées qu’elles ont été définies par les joueurs eux-mêmes. En d’autres termes, les règles seront d’autant mieux acceptées et respectées si elles sont définies par ceux qui doivent les respecter.

Bien sûr il y a des règles basiques et formelles (ponctualité, tenues…) et d’autres plus informelles, définies autour de valeurs, qui définissent les manières de se comporter les uns avec les autres.

Pour ma part, j’aime bien parler à mon groupe des 4 accords toltèques (https://www.psychologies.com/Therapies/Developpement-personnel/Epanouissement/Articles-et-Dossiers/Accords-tolteques-4-regles-pour-etre)

L’idée première étant, loin de toutes pressions, de se prémunir au maximum des problèmes et dérives qui arriveront inévitablement en cours de saison, en identifiant des règles de conduites nécessaires à la cohésion. « C’est quand il fait beau qu’il faut s’occuper du toit ».
L’autre idée est que la pression du groupe est plus puissante que celle exercée par le coach.

2 / Adapter le jeu et le rôle de chacun à leurs spécificités :

Avec tous les joueurs et avec cet « électron libre » en particulier, il est fondamental de prendre un temps de discussion pour comprendre ce qui le motive, et donc ce qui va le pousser à s’engager, puis de définir avec lui, en fonction de ses compétences techniques, le rôle qu’il aura à jouer dans l’équipe.

Si il est utilisé sur ses points forts et selon ses aspirations, vous en obtiendrez beaucoup plus.

Exemple, si il s’agit d’un joueur qui aime le jeu direct et les duels, évitez de l’utiliser trop souvent sur des grandes courses, et mettez en place des actions lui permettant d’exploiter ses qualités.

Adaptez votre jeu aux joueurs, et non l’inverse.

3 / Coachez-le :

Faites des feed-backs réguliers avec lui (la vidéo est un outil précieux), en posant des questions plutôt qu’en assénant des injonctions ou des reproches.

Cultivez votre assertivité. Prenez ses lunettes et encouragez le à prendre les vôtres ou celles de ses coéquipiers.

Félicitez le devant tout le monde quand il a des comportements altruistes ou quand il a mis ses compétences au service de l’équipe. Et recadrez-le, échangez avec lui en privé quand il dérive.

Par ailleurs, les personnalités « rebelles » ne seront jamais des suiveurs. Soit elles deviennent pro-actives, soit elles risquent de mettre le bazar. Faites en un allié en sollicitant régulièrement son avis (plutôt en privé). Il se sentira valorisé, important et vous obtiendrez beaucoup plus de lui.

4 / Valorisez les attitudes positives :

Ne dépensez pas d’énergie à intervenir à chaque comportement négatif. A l’image d’un enfant qui fait des bêtises pour attirer l’attention de ses parents. Valoriser le comportement de ceux qui sont positifs. Sinon tout le monde finira par avoir des comportements négatifs afin de solliciter votre attention.

Là aussi, le groupe doit exercer une pression positive sur ceux qui dérivent. Il s’agit d’un processus qui demande du temps et de la consistance dans les attitudes de l’entraîneur.

5 / Accepter l’idée que la diversité est nécessaire pour performer.

S’il est indispensable de définir et de respecter des règles communes, de fixer un cadre, il est important d’admettre que chaque joueur a un profil différent.

Il est donc important d’adapter votre management à chacun. Un joueur individualiste vous posera parfois des problèmes… mais vous en règlera d’autres à d’autres moments comme prendre la responsabilité d’un shoot, réussir une action dans un moment difficile…

A contrario, un joueur plus discret, un « bon soldat », ne vous posera jamais de problème de groupe mais sera peut-être plus effacé et moins fiable au moment de prendre ses responsabilités sous pression.

C’est un peu caricatural mais il est important d’admettre et de faire comprendre à votre équipe que la diversité participe à la force d’une équipe. Et que cette diversité nécessite des manières diverses de manager les individus même si il existe un cadre non négociable.

Valoriser sa compétence spécifique et son utilité au sein de l’équipe tout en travaillant avec lui en privé pour en faire un leader plus altruiste.

Ne vous contentez pas de manager, coachez!

Quelle est la principale (première) action que vous mettez en oeuvre lorsque votre équipe est en train de perdre en match ? Et lorsqu’elle gagne ?

Le premier élément qu’il faut être capable d’analyser et la question à laquelle il est nécessaire de répondre le plus finement possible est  : « est-ce que mon équipe est effectivement en difficulté ou non« ?

Dans notre discipline, on peut être mené 4-0 ou 5-1 au bout de 8 minutes tout en étant complètement dans le match, sans nécessairement mal jouer. Un bel arrêt du gardien en face, un poteau, une décision d’arbitre défavorable et ça peut faire 3 possessions que l’adversaire concrétise. Focaliser son attention sur le jeu et les attitudes et non pas sur le scoring, sur le « process » plutôt que sur le résultat final est, à mon sens, fondamental.

Un exemple : en début de carrière j’avais tendance à m’agacer et à changer de défense au bout de 10 ou 15 minutes si nous prenions trop de buts dans les premiers instants du match ou si mon équipe ne prenait pas rapidement le leadership au niveau du score. Or, une défense a parfois besoin d’un peu de temps pour s’ajuster, pour prendre la mesure de l’adversaire. Un adversaire qui, du reste, a aussi le droit d’être bon ! Petit à petit j’ai appris à faire confiance au temps long (le match dure 60 minutes!!) et à m’abstenir de générer un stress aussi inutile que contagieux si les planètes ne sont pas, dès le départ, parfaitement alignées. Comme me l’a dit un jour un ami médecin urgentiste « Dans les situations d’urgence, il est urgent de prendre son temps ». Dans des situations où il faut régulièrement prendre des décisions, dans l’urgence, dans des environnements complexes et incertains, il est important de développer et de s’appuyer sur une solide intelligence émotionnelle et situationnelle. Et ça, ça ne s’apprend pas dans les livres…

Schématiquement, si l’équipe est derrière au score, je peux choisir plusieurs options:

  • Ne pas intervenir : nous maîtrisons ce que nous devons maîtriser même si nous n’avons pas (encore) l’avantage au score.
  • Nous jouons bien mais nous ne concrétisons pas nos bonnes actions collectives, je peux prendre un temps mort pour rassurer tout le monde et éviter que le doute ne s’installe. Dans ces situations là, sous la pression du score il peut y avoir un décalage entre la réalité et sa perception. Rappeler que nous sommes dans le match, que l’équipe fait ce qu’elle doit faire, qu’il faut avoir confiance dans le jeu et l’équipe sur la durée du match et qu’il n’y a aucune raison de baisser le niveau de détermination et de discipline, peut être utile.
  • l’adversaire nous pose des problèmes stratégiques ou l’équipe joue « à l’envers » : je prends un temps mort pour donner une solution tactique et/ou pour rappeler certains fondamentaux.
  • les attitudes ne sont pas là, l’engagement et la cohésion ne sont pas au niveau requis, le temps mort peut être utilisé pour bousculer et piquer l’équipe… Dans ce cas là il y a de fortes chances que les problèmes soient antérieurs et plus profonds et pas seulement liés au contexte du match.

Dans le cas où l’équipe est devant, le même type de démarche peut avoir cours. Il arrive en effet  d’être devant au score tout en jouant mal, tout en n’étant pas en accord avec le plan ou la logique du jeu. Il peut alors être utile de profiter d’être devant au score pour remettre de l’ordre. Si nous sommes dans une logique du temps long, il est en effet possible de passer quelques minutes au travers des gouttes mais sur la durée du match, il est probable que les approximations se matérialisent négativement au niveau du score si elles venaient à durer trop longtemps.

Dans le cas où le score est la conséquence de la qualité du jeu et des attitudes positives de l’équipe, vous pouvez vous approprier la citation suivante empruntée à Herbert Von Karajan : « l’art de diriger consiste à savoir abandonner la baguette pour ne pas gêner l’orchestre ». Dans ces cas là, résister à l’envie de vouloir absolument montrer que vous existez.